Archives Mensuelles: octobre 2011

Ben Mazué – Gingers have souls

Roux. ROUX.
Voilà la seule chose qui frappe quand on jette un oeil à Ben Mazué, la trentaine, l’oeil bleu azuré, la tignasse ébourriffée. A partir de ce point, le raccourci est rapide (« a-t-il seulement une âme ? »), d’autant que sa dégaine lui donne l’air de s’être coincé dans l’espace-temps incertain de l’éternel étudiant. On lui glisserait bien une guitare entre les bras et du Thomas Dutronc sur la langue, n’en déplaise à certains.

Mais autant que l’habit ne fait pas le moine, et que  les roux ont bien une âme,  Mazué a eu l’intelligence de ne pas nous infliger un Nième album de chanson française à texte kitsch et faussement engagé. Ben a choisi l’autre côté du périph’. Il a rencontré le rap, et des potes visiblement bien avisés.

BLAM. Révélation.

Enfin ! Le voilà le VRAI renouveau de la scène musicale française. Le mec ne se contente pas seulement de gratter deux notes ou de cracher des punchlines de mauvaise qualité dégotées sur un possible générateur google. Il puise par-ci, par-là, dans des influences tantôt hip-hop, tantôt soul, tantôt de la pure tradition de la chanson française, allant même jusqu’à caser certaines sonorités africaines. Ce grain de voix qui lui est facilement reconnaissable et qu’on ne lui attend pourtant pas, et de cette maitrise qui en découle. L’alternance a l’air tellement facile entre passages purement hip-hop (et il me faut là vous notifier l’EXCELLENTE performance de Confessions d’un Rap Addict), et mélodies plus posées (comme son duo avec Pauline Croze), qu’on le croirait capable de tout faire, tout alterner, tout chanter.
Ouais, on pourrait peut-être pouffer sur l’accent « téci » un peu trop cliché. Sur certaines répétitions aussi, certains motifs qui se ressemblent. Sur ce featuring de Blitz The Ambassador qui tombe comme un cheveu dans la soupe. Sur ces thèmes trop gentils pour vraiment rendre honneur au rap. Mais ce mec incarne clairement le double effet Kiss Cool, alors pourquoi lui en vouloir ? Même les cheveux rasés il charmerait tout autant.

Et j’en profite pour le préciser : l’album est bon, mais la performance en concert l’est tout autant. Maîtrise parfaite des chansons, excellents musiciens, une chaleur réconfortante et l’envie de partager cette musique qui emplit l’espace. En tournée pour la promotion de ce beau bébé de 13 chansons, s’il arrive qu’une tête rousse s’affiche près de chez vous, arrêtez tout et foncez. Si la musique ne vous passionne pas, l’ambiance vous convaincra.

Artiste : Ben Mazué
Album : Ben Mazué
Genre : Chanson, Soul, Hip-hop
Label : Sony Music Entertainment
Sortie : 30 septembre 2011

Bex

Polock – Nice To Meet You

COUCOU LES TWINKOS

Aujourd’hui, un petit shooter sur un groupe de pop. Espagnol. Actuel. Présenté comme ça, ça donne autant envie que la sortie de Léa Passion Tricot. Sauf que contrairement à tout les groupes de pop actuels, le groupe Polock sait ce qu’on attend de lui : des mélodies de qualitay entrainantes, des riffs accrocheurs, des changements de rythme bienvenus, des voix qui s’accordent bien, du Fender Rhodes, et un batteur qui tape pas trop comme un bourrin. Et mine de rien, ça change tout. Et ça donne la pêche le matin

 

Jabberwoocky

Tagué , ,

Pourquoi – et comment – le jazz est mort

Alors euh bonsoir euh tout le monde euh.

Ce soir, nous allons parler d’une époque et d’une genre méconnu, parce que vachement underground tu vois. Maintenant que c’est plus bexisnuts qu’a les commandes, parlons de musique. DE VRAIE. Et pas de groupes d’électro-indé germanopratins.

La question étant : COMMENT et POURQUOI le jazz est passé de ça

à ça

La fin du jazz

Ouais, j’aime bien titrer des choses alarmantes comme ça. C’est mon coté journaliste  au Point à Marianne    à Closer. 

Bref.

Donc on est à la fin des années 60- début des années 70, et les jazzmen commencent à se lasser du jazz. D’abord, c’est devenu mainstream. Tout le monde en joue, même les blancs. Ensuite, on a l’impression, après l’invention du jazz modal et les expérimentations d’Evans, d’avoir fait le tour du truc. Et surtout -même si on en parle pas – ça nourrit pas son homme. Les ténors commencent à vieillir, et être obligé de tourner 4 nuits par semaine pour se nourrir, ça fatigue. Donc les vieux routards cherchent un son nouveau. Et ils le trouvent dans le rock et le funk. Ces deux inspirations résument à elles seules la dualité du jazz, entre technique et virtuosité européenne et transe africaine. Les jazzmen ayant fait le tour de la virtuosité, technique avec le be-bop, ou mélodique avec le jazz modal, ils se tournent vers la recherche de la transe. 

Un petit rappel de ce qu’est la transe pour les deux du fond qu’écoutent jamais et qu’on se demande comment ils ont eu leur bac nan mais vraiment madame je te jure et en plus je mets des titres a rallonge si je veux non mais t’as vu ça madame ?

Donc la transe ici c’est pas une musique de beauf, c’est ce qui rapproche de dieu.

Oui.

Carrément. CA TE COUPE LA CHIQUE HEIN KÉVIN ?

Dans les mythologies primitives, l’état de transe permet de communiquer avec les esprits de la nature. En absorbants certains psychotropes, en dansant, en chantant, le tout de plus en plus vite,et de plus en plus fort, le corps lâche, tremble, l’âme s’évade, et on rentre dans un état second. Et regardez ce qu’on a la :

Alors, c’est sûr, voir 4-5 noirs jouer ensemble du funk, maintenant ça n’a rien n’étonnant.Mais à l’époque, le jazz était un des genres musicaux les plus fermés et les plus élitistes qui soit. Pour vous donner une idée, c’est un peu comme si aujourd’hui Nathalie Dessay et Lucio Pavarotti abandonnaient le classique pour se réfugier dans le speedcore.

A l’époque, le virage électrique de Davis et de ses condisciples en avait surpris plus d’un. Les critiques étaient pour le moins peu enthousiastes . Ce n’était plus du jazz, c’était quelque chose de nouveau, et de sauvage.  Quelque chose d’assez incompréhensible pour les oreilles de l’époque, quelque chose que faute de mieux on appelle « free jazz » ou « jazz-funk ». On joue sur des synthés ou des Fender Rhodes, on passe tout au phaser ou à la wah, la basse se slappe, les rythmes s’accélèrent, les lignes mélodiques deviennent psychédéliques, on utilise de plus en plus les gammes diminuées dissonantes, et on joue constamment sur le rythme et le dépassement de soi.

La transe comme écho aux revendications sociales & raciales

Ce choix de retour aux origine africaines de la musique de jazz n’est pas né du hasard. Il s’accompagne aussi d’une nouvelle revendication de l’identité noire aux Etats Unis. Malgré l’apport massif du jazz à la musique populaire, les Noirs sont toujours considérés comme des moins que rien. Le harcèlement policier & la discrimination sont la règle. Les jeunes noirs ne supportent plus les brimades et les humiliations. Malgré les sacrifices de leurs aînés, pendant la Seconde Guerre Mondiale ou la guerre de Corée, ils ne sont toujours pas des citoyens à part entière. Ils sont à la recherche d’un moyen de s’unir pour lutter pour leurs droits civiques. Le mouvement Black Power s’assure une audience large, et ces jeunes en rébellion sont à la recherche d’un style de vie & d’une musique qui les distingueraient des jeunes Blancs. On se met à écouter de la musique funky, étymologiquement « qui sent la sueur ». Les jazzmen recommencent à faire de la musique de Noirs pour les Noirs.

Les expérimentations électriques

Les musiciens rejettent toute écriture pour se concentrer sur l’improvisation. Ils arrêtent de réfléchir, et ils jouent, en communion avec les autres. Ils se concentrent sur l’énergie brute, la puissance presque sexuelle du groove, ce que l’on retrouve clairement dans Rockit ( Herbie Hancock, 1983,Future Shock). Bien avant, des albums comme Bitches Brew (M. Davis, 1970), ou Fat Albert Rotunda ( Hancock, 1969), se perdent dans les dissonnances et les sons distordus. Des plages longues de 30 minutes, avec l’emploi du re-recording, des innovations mélodiques très, voir trop audacieuses, l’absence de thème reconnaissable, rendent ces albums très difficiles d’accès. Surtout, les musiciens ne cherchent pas à faire de belles mélodies, mais à jouer en improvisation totale, en harmonie avec la musique, en entrant en transe.

Ce n’est qu’au milieu des 70’s, après toutes ces expérimentations parfois trop dissonantes et complexes, que le jazz électrique atteint la perfection. Herbie Hancock, notamment, grâce à ses albums Manchild (1975), Thrust ( 1974) et surtout Headhunters ( 1973), atteindra l’équilibre parfait entre groove et swing. Voici donc un de ses morceaux les plus connus, Watermelon Man. En deux versions : celle de 1962 ( Takin’ Off) :

et celle de 1973 (Headhunters)

Bien que la version la plus récente puisse être considérée comme du funk pur, il n’est pas aussi simple de le catégoriser. Les accords enrichis, et la progression harmonique en I-IV-V, sont résolument jazzy. De même, l’introduction sifflée reprend les codes de la musique blues, et des negro spirituals. Malgré leur virage « commercial » de l’époque – qui en vérité n’était pas du qu’à des questions financières-, les jazzmen ont bel et bien réussi à renouveler leur musique en gardant l’harmonie, l’improvisation et l’inventivité du jazz.

 

Jabberwoocky